Une brève histoire du cerveau

De nombreuses publications récentes, en particulier le livre « Le cerveau, la machine, et l’humain » de Pierre-Marie LLEDO, nous apprennent des choses fascinantes sur cet organe encore méconnu qu’est le cerveau.

En nous rendant bipèdes, l’évolution nous a permis de nous déplacer en dépensant moins d’énergie, mais cela a provoqué un rétrécissement du bassin qui rend l’accouchement plus difficile. En conséquence de quoi l’être humain naît toujours prématuré.

Pour survivre, il dépend totalement de l’attention de son environnement proche. Des mécanismes sociaux se sont ainsi développés pour assurer la nourriture, les soins et l’éducation. Ils ont cependant leur limite. Robin DUNDAR a établi une relation entre le volume du cerveau et la taille maximale au-delà de laquelle il ne peut plus y avoir de rapports sociaux proches dans un groupe, et notre limite d’humains est de 150 individus. Contrairement aux fourmis qui sont stupides individuellement mais extraordinaires en colonies, l’être humain est intelligent individuellement, mais limité collectivement.

Le nouveau-né n’a de cesse d’apprendre, en particulier par mimétisme. Son cerveau acquière rapidement une grande dextérité pour l’analyse de probabilité. Il travaille par cycle : prédiction, retour d’information, correction, nouvelle prédiction. Pour s’améliorer, ce fonctionnement a un besoin indispensable : se tromper. Un article lumineux de Stanislas DEHAENE lève définitivement le doute sur les vertus cognitives de l’erreur.

Au moins vingt années après sa naissance, le cerveau d’un être humain est un organe éminemment complexe et mature d’environ 1 400 centimètres cubes, monté sur suspension hydraulique dans la carrosserie céphalique. Il se compose de dizaines de milliards de neurones reliés par des millier de connexions synaptiques qui peuvent se reconfigurer. Son volume a considérablement augmenté, sa partie extérieure représente une surface de deux mètres carrés pour deux à quatre millimètres d’épaisseur. Sommet de l’évolution du cerveau, le cortex se plisse six mois après la naissance. Ses circonvolutions ont fait l’objet de bien des théories qui se sont avérées fausses, mais qui laissent un souvenir persistant, notamment la célèbre bosse des maths.

Loin d’être un dispositif homogène, le cerveau se compose de « populations » de neurones. Le modèle actuellement exploré par les chercheurs est d’ailleurs un graphe connectant différents nœuds constituant autant de populations qui peuvent avoir une vision différente et même divergente d’un même objet ou d’une même situation.

Les travaux conduits par Olivier HOUDE et son équipe du CNRS montrent la coexistence dans le cerveau de deux approches d’analyse qui peuvent diverger, et qui liées à la multiplicité des populations de neurones :

  • L’approche heuristique, c’est-à-dire une résolution rapide basé sur une prévision probabiliste. Elle est efficace, économique et marche parfaitement quand elle ne commet pas d’erreur ;
  • L’approche analytique (algorithmique), qui est une stratégie plus lente, mais qui conduit toujours à la bonne solution à force de réflexion logique.

Dans son plaisant article « Comment s’assurer de prendre les plus mauvaises décisions en toutes circonstances ? », Christophe LEFEBURE propose l’énoncé suivant qui illustre très bien les deux approches possibles :

Acheter une raquette et une balle vous coûtent 11 €. La raquette coûte 10 € de plus que la balle. Quel est le coût de la balle ?

L’approche heuristique propose 1 €, parce que 11-10 = 1, ce qui est algébriquement vrai, mais inexact car la balle est comptée deux fois.

L’approche analytique pose les équations : raquette = balle + 10, raquette + balle = 11, balle + 10 + balle = 11, donc 2 * balle = 1, soit 0,5 €.

Olivier HOUDE explique que l’apprentissage active un mécanisme d’inhibition qui permet à l’approche analytique de se substituer durablement à l’approche heuristique quand elle se révèle expérimentalement infructueuse pour un objet donné. Vous ne vous tromperez plus sur le prix de la balle ou de tout autre objet, sauf si vous oubliez la bonne solution !

Les modes mentaux

Jacques FRADIN et son équipe de l’Institut de Médecine Environnementale ont été plus loin que le sujet des modes d’analyse avec l’Approche Neurocognitive et Comportementale. Ce modèle intègre non seulement les aspects d’analyse et de pensées, mais aussi les ressentis et les comportements qui sont usuellement du domaine de la psychologie.

Le modèle distingue deux modes mentaux :

  • Le mode mental automatique, siège de l’approche heuristique et de la conscience, mais aussi des mécanismes émotionnels, du positionnement grégaire (confiance/défiance en soi/en l’autre), et des réactions instinctives qui caractérisent le stress (fuite, lutte, inhibition) ;
  • Le mode mental adaptatif, fleuron de notre évolution cérébrale, capable de prouesses cognitives notamment en approche analytique et doté d’une capacité d’apprentissage en continu.

De nombreux exercices démontrent les limites du mode automatique et pointent les biais de cognition auxquels il conduit.

Par exemple, la majorité des personnes à qui on demande à quelle place est garée la voiture n’arrivent pas à répondre parce qu’ils se lancent dans la recherche infructueuse d’une solution mathématico-logique :

A contrario, le mode mental adaptatif sait que la logique de numérotation des places de parking est généralement simple et logique, et remet la scène dans le contexte du stationnement :

La guerre des modes

Le mode mental automatique peut conduire à la position ferme et définitive qu’il est inconcevable que la place de parking où la voiture est garée porte le numéro 87. Il ne s’agit plus uniquement d’une question d’analyse, mais de déni. Entendre quelqu’un affirmer qu’il ne changera pas à son âge (étant entendu qu’il faut comprendre transformer plutôt que changer) est une manifestation typique du mode automatique, grand spécialiste du biais cognitif.

Le mode adaptatif n’a pas ce travers, mais il n’est pas seul maître à bord et la prise des commandes lui est parfois impossible.

Le mode automatique a souvent la main par défaut, économies d’énergie obligent. Trois gouvernances peuvent alors s’exprimer :

  • La gouvernance émotionnelle, siège des motivations, des interdits sociaux et des mécanismes de compensation / décompensation qu’ils engendrent quand il s’avère nécessaire de contourner un interdit qu’il n’est pas question d’affronter (par exemple, écrire des poèmes énamourés, mais être dans l’impossibilité d’avouer sa flamme oralement ou encore attendre la reconnaissance de son milieu professionnel à défaut de pouvoir s’estimer) ;
  • La gouvernance grégaire, héritage des premiers temps de notre socialisation, avec deux composantes : domination / soumission  et intégration / marginalité ;
  • La gouvernance instinctive, héritage de la classe des mammifères, qui est une programmation génétique des attitudes de défense vitale : fuite, lutte, inhibition.

Nous verrons dans le prochain article et à la lumière du modèle de Jacques Fradin pourquoi « l’ingénierie du consentement » ne suffit pas à faire des transformations réussies.

Nous explorerons ensuite les innombrables perspectives du mode adaptatif.